21 Mars 2019

Cheminées de rayons X au centre de la galaxie

En analysant des données recueillies par les satellites XMM-Newton et Chandra dans le domaine des rayons X une équipe internationale vient de découvrir de proéminentes structures d’émission thermique qui s’étalent de part et d’autre du centre Galactique, sur des distances d’environ 150 parsecs en direction des pôles Nord et Sud.

Ces « cheminées de gaz chaud » pourraient représenter les canaux à travers lesquels les régions centrales alimentent en énergie les grandes bulles de rayons gamma découvertes par le satellite Fermi, dénommées « bulles de Fermi », et qui témoignent d’une activité passée intense dans les régions centrales de notre Galaxie.

Les régions situées au centre de la Voie lactée représentent un véritable laboratoire pour l’astrophysique des hautes énergies puisqu’elles contiennent une grande quantité d’objets et de structures qui interagissent et donnent lieu à des phénomènes physiques spectaculaires. A ce titre, elles sont l’objet de nombreuses études menées dans la fenêtre des rayons X, entre 0.1 et 10 keV, qui tracent les phénomènes les plus énergétiques de la région (Figure 1), notamment ceux en lien avec le trou noir supermassif situé au centre de notre Galaxie, Sagittarius A*.

Figure 1.  Carte de l’émission X des régions centrales de la Galaxie obtenue en combinant plus d’une centaine d’observations XMM-Newton entre 0.5 et 12 keV. Elle couvre une région de 300 parsecs en longitude Galactique et de 150 parsecs en latitude Galactique. Les couleurs indiquent l’énergie des photons X détectés : rouge (0.5-2 keV), vert (2-4.5 keV) et bleu (4.5-12 keV). De très nombreuses structures diffuses sont visibles sur cette carte ainsi qu’un ensemble de sources ponctuelles très intenses, principalement des objets compacts (trous noirs ou étoiles à neutrons) en couple avec une étoile normale. Le trou noir supermassif Sgr A* se trouve dans la région centrale où l’émission est intense (Ponti G. et al. 2015, MNRAS, 453, 172, crédit ESA / XMM-Newton et G. Ponti).

La Figure 2 présente la carte de l’émission X de basse énergie (1,5 – 3,0 keV) de la région de 300 pc x 500 pc autour du centre Galactique obtenue avec les données de l’Observatoire européen XMM-Newton, notamment grâce à plusieurs larges programmes d’observations, effectuées entre 2016 et 2018, visant à explorer en détail et pour la première fois des régions à plus hautes latitudes. Cette bande d’énergie, particulièrement adaptée pour mettre en évidence l’émission thermique, révèle deux structures en forme de cylindres qui semblent remplies de gaz à des températures de plusieurs millions de degrés. Elles pourraient émaner du centre Galactique, où se situe à la fois le trou noir supermassif Sgr A* et plusieurs amas d’étoiles jeunes.

Figure 2. Carte de l’émission X de basse énergie provenant de la région de 300 pc x 500 pc autour du centre Galactique, créée avec les données XMM-Newton obtenues entre 2016 et 2018, ainsi que des données d’archive. Le code couleur indique l’énergie des photons X détectés : rouge (1.5-2.6 keV), vert (2.35-2.56 keV, bande correspondant à la raie d’émission du soufre) et bleu (2.7-2.97 keV). Les sources ponctuelles ont été masquées et apparaissent comme des cercles blancs. L’échelle de l’image en parsecs, les cordonnées Galactiques, le plan Galactique (droite en pointillés blancs), la position du trou noir central Sgr A* (losange), les bords inferieurs des « bulles de Fermi » (lignes blanches) sont également indiqués. Les ellipses blanches en pointillés montrent les nouvelles structures en forme de cheminées mises en évidence par ces données. (Ponti G. et al. 2019, Nature 21 Mars 2019).

Malgré son puit de potentiel gravitationnel exceptionnel résultant de ses 4 millions de masses solaires contenues dans un diamètre de seulement un dixième d’unité astronomique, Sgr A* est aujourd’hui très faiblement lumineux, en particulier dans le domaine des rayons X. Néanmoins, plusieurs indices révèlent que ce trou noir supermassif a pu être beaucoup plus actif par le passé, tout comme son environnement immédiat puisque l’observation du gaz chaud indique aussi une intense phase de formation stellaire il y a seulement quelques millions d’années. Parmi les vestiges d’activité connus, les « bulles de Fermi », deux larges structures visibles en rayons gamma au GeV s’étendant sur des milliers d’années-lumière (environ 8 kpc) de part et d’autre du plan Galactique (Figure 3), témoignent ainsi d’une activité exceptionnelle au cœur de notre Galaxie. Pourtant leur origine reste un mystère.

Figure 3. Image d’artiste des larges structures observées en rayons gamma par le satellite américain Fermi et nommées les « Fermi Bubbles » (couleur magenta) qui s’étalent de part et d’autre de la Voie Lactée, vue ici par la tranche dans son apparence en lumière visible (Crédit: NASA's Goddard Space Flight Center). https://www.nasa.gov/mission_pages/GLAST/news/new-structure.html

L’étude des structures découvertes en rayons X, à laquelle ont contribué des chercheurs du laboratoire Astroparticule et Cosmologie de Paris, du Département d’Astrophysique du CEA–Irfu de Saclay et de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble, avec le soutien du CNES et de l’ANR, démontre que ces « cheminées » s’étendent jusqu’à la base des « bulles de Fermi ». Elles relient donc cette composante à grande échelle à la zone active du centre Galactique (Figure 4) où des larges éruptions passées du trou noir supermassif central (semblables à celles observées au cœur des noyaux actifs de galaxies) ou l’explosion de supernovæ et les vents d’étoiles massives dus à une intense phase de formation stellaire auraient pu injecter suffisamment d’énergie pour expliquer leur présence.

Figure 4. Schéma qu’illustre comme les cheminées X (« Northern / Southern Chimney ») du Centre Galactique pourraient relier cette zone active de la Voie Lactée aux bases des Bulles de Fermi (Ponti G. et al., 2019 Nature 21 Mars 2019).

Ces résultats sont publiés dans la revue Nature et font l’objet d’un communiqué de presse de l’ESA et de XMM-Newton.

Contacts

Maïca Clavel (IPAG /INSU/CNRS)
Courriel : Maica.Clavel at univ-grenoble-alpes.fr
Tel : 04 76 63 56 27 / +33 4 76 63 56 27

Andrea Goldwurm (APC et DAp /IRFU/CEA)
Courriel : andrea.goldwurm at cea.fr
Tel : 01 69 08 86 69 / +33 1 69 08 86 69

Régis Terrier (APC /IN2P3/CNRS)
Courriel : terrier at apc.univ-paris7.fr
Tel : 01 57 27 60 79 /  +33 1 57 27 60 79

Pour aller plus loin